Newsletter of Phenomenology

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Laocoon à Venise

Michel Hochmann

pp. 91-103

On connaît la caricature attribuée à Titien qui représente le Laocoon sous l’aspect de trois singes. Cette estampe raille la vénération exagérée pour l’Antique et résume ainsi depuis longtemps, aux yeux des historiens et des théoriciens, l’un des aspects de l’opposition traditionnelle entre Venise et Rome. Le Laocoon fut pourtant, à Venise comme dans toute l’Italie, l’objet d’une curiosité passionnée très tôt après sa découverte ; nous en retraçons les principaux aspects. La première copie en bronze du groupe, par Jacopo Sansovino, fut en effet acquise par un Vénitien, le cardinal Domenico Grimani, et elle put ainsi éveiller très tôt l’intérêt de ses concitoyens. On en a d’ailleurs la preuve dans l’extraordinaire description que les ambassadeurs de la Sérénissime nous ont laissée de leur visite au Belvédère en 1523. Nous enquêterons aussi sur les autres copies du groupe, en ronde-bosse ou en bas-relief, présentes en Vénétie. Les artistes eux-mêmes se passionnèrent pour l’œuvre, à l’instar de leurs confrères d’Italie centrale. Titien leur montra la voie à cet égard. Même s’il est bien l’auteur de la caricature que nous avons mentionnée (ce qui n’est pas admis par tout le monde), il commença en effet par se tourner vers les modèles que lui offraient l’art de Rome, Michel-Ange, Raphaël, mais aussi les antiques. Il cherchait ainsi à dépasser l’art de Giorgione et de Giovanni Bellini pour introduire une nouvelle façon de raconter l’histoire en peinture et d’exprimer le pathétique. Il cita directement le Laocoon au moins à deux reprises, dans le Polyptyque Averoldi de Brescia et dans le Bacchus et Ariane (Londres, National Gallery). Nous étudions ces deux tableaux pour essayer de montrer l’usage très spécifique que le peintre fait de son modèle, qui n’a rien à voir avec une plate imitation. La confrontation avec la sculpture est en effet, pour lui, l’occasion de réfléchir sur ce qui fait la spécificité de la peinture, dans la lignée des débats sur le paragone qui fleurissaient à la même époque. Sa manière de traduire le marbre en peinture, de faire revivre l’antique par la sensualité de son coloris devait rester exemplaire pour les peintres et pour les amateurs.

Publication details

DOI: 10.4000/rgi.940

Full citation:

Hochmann, M. (2003). Laocoon à Venise. Revue germanique internationale - ancienne série 19, pp. 91-103.

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