Newsletter of Phenomenology

Keeping phenomenologists informed since May 2002

L'expérience autobiographique de Salomon Maimon

Nicolas Weill

pp. 23-34

Cet article analyse les caractéristiques de l’entreprise autobiographique de Salomon Maimon. Sa Lebensgeschichte en effet ne doit être réduite ni à une expression précoce de « haine de soi » qui aurait incité Maimon à faire le récit de son détachement du terreau du judaïsme traditionnel dans lequel il avait été élevé, ni à une première tentative de description anthropologique neutre - en allemand - du monde juif d’Europe de l’Est. L’image est plus complexe. D’une part, le récit maimonien peut être inséré dans les grands courants des autobiographies juives qui ont précédé la sienne : ceux des « renégats », bien sûr, comme Uriel da Costa ou Hermann le Juif ; mais d’autre part il faut mettre en regard la Lebensgeschichte avec la production autobiographique juive rédigée à des fins d’édification morale et religieuse dont l’exemple le plus célèbre reste les Mémoires de Glikl Hameln. La Lebensgeschichte de Maimon, au rebours de ces derniers écrits (souvent privés) ne vise ni la conversion ni l’édification. On doit avant tout la mettre en relation avec la philosophie maimonienne elle-même dans son moment sceptique. Un scepticisme qui s’exprime également dans la déception qu’inspire à Maimon les maskilim berlinois lesquels échouent, à ses yeux, à former une vraie communauté de chercheurs voués à la quête exclusive de la vérité. Il convient par ailleurs de remettre cette autobiographie dans le contexte du développement de la psychologie de son temps : une discipline en formation qui est passée de la Psychologica empirica de Wolff à une conception nouvelle de l’esprit. L’essence de l’âme ne réside plus dans la res cogitans ni dans la résolution ultime des conflits intérieurs mais se conçoit plutôt comme un processus par nature dynamique, au sein duquel le Moi atteint de temps en temps un point d’équilibre précaire (d’où l’importance de la pédagogie et des pédagogues dont la tâche consiste, justement, à restaurer l’équilibre perdu). En se modelant sur l’autobiographie rousseauiste, mentionnée explicitement dans la Lebensgeschichte, Maimon partage avec d’autres contemporains l’idée que l’exhibition des tribulations du Moi représente un accès au vrai, aussi bien individuel que social (et non comme aujourd’hui qu’écrire sa vie équivaut à produire une « construction »). Ne demeure-t-il pas en cela dans la lignée d’un autre modèle plus lointain : celui des Confessions de Saint Augustin ?

Publication details

DOI: 10.4000/rgi.1054

Full citation:

Weill, N. (2009). L'expérience autobiographique de Salomon Maimon. Revue germanique internationale 9, pp. 23-34.

This document is available at an external location. Please follow the link below. Hold the CTRL button to open the link in a new window.